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Les cloches du gouffre

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Sarrus

    Quand j'étais jeune, je parcourais souvent  la campagne en compagnie de mon oncle Pierre, toujours prompt à la plaisanterie.

    Nous marchions, un soir, dans la nuit noire, sur un versant escarpé au pied duquel, dans les gorges qu'emplissait le bruit des cascades, la Truyère grondait sourdement.
    Un paysan nous précédait, sondant le senntier de son bâton ferré, nous guidant de la voix, et nous soutenant de son bras vigoureux aux passages difficiles.
    L'oncle Pierre ne trouvait plus le mot pour rire. Nous allions dans un profond silence, attentifs à éviter le moindre obstacle, et frissonnant au bruit que faisaient en roulant dans l'abîme, les pierres qui glissaient sous nos pas.

    Soudain du fond de ce gouffre, monta, mêlé au bouillonnement des eaux, un son plaintifcomme un soupir, harmonieux comme un hymne. Le vent l'emportait, et les échos de la sombre vallée se la renvoyaient fidèlement.
    Le guide s'arrêta et murmura une prière en se signant.
    - Qu'est-ce, lui dis-je ?
    - Les cloches du gouffre, dit le paysan.
    J'écoutai ; c'était bien le son d'une cloche, lent, triste et solennel comme un glas funèbre.
    Le guide reprit au bout d'un moment de silence :
    - Quelqu'un des habitants de Sarrus mourra cette nuit, Dieu nous garde !
    Le pauvre garçon était tout tremblant, et il redoublait de précaution pour qu'aucun de nous ne roulât de l'étroit sentier dans lequel nous étions engagés.
    Pierre m'avait rekoint et voulait avoir l'explication des craintes de notre guide.
    Le paysan s'assit sur une saillie de rocher, nous nous plaçâmes à ses côtés les deux bras croisés sur nos longs bâtons.

    Mes bonnes gens; dit le guide, vous savez qu'au plus mauvais jours dede la Révolution, les méchants, après avoir persécuté les gens de bien, voulurent s'attaquer à Dieu lui-même.
    Ils portaient leursmains sacrilèges sur les tmples de Jésus-Christ, ils brisaient les tabernacles, profanaientles saints calices et fondaient les cloches pour en faire des canons.
    A cette époque, notre église était bâtie sur le rocher qui se dresse à pic au-dessus de nos têtes.
    De là, le joyeux carillon faisait retentir leséchos de ces gorges profondes.
    Un jour, à la grande douleur des fidèles impuissants à protéger le saint édifice, une bande impie la pilla et y mit le feu. A la clarté des flammes, les incendiaires buvaient et chantaoient dans le cimetière, parmi les tombes qui entouraient l'église.
    Tout s'effondrait ; la tout seule restait debout, et là-haut, parmi les poutres embrasées, brillaient les belles cloches que la bande sacrilège espérait emprter comme un trophée de sa honteuse expédition.
    Soudain, un craquement formidable se fit entendre, et, sur la pente où nous sommes, ce fut comme une avalanche de pierres et de débris enflammés.
    Les pillards blasphémaient, poussaient des cris de rage, mais dans le gouffre sans fond qui gronde à nos pieds, les cloches saintes étaient pour jamais à l'abri de toute profanation. Les habitants, qui assistauent de loin à cette destruction, rendirent grâce à Dieu.

    Depuis, les hommes ont fui ce roc désert, les cloches n'y ont plus jeté lmeurs joyeuses volées ; mais lorsqu'une âme doit quitter la terre, un ange descend là-bas, dans l'abîme, et les cloches du gouffre prient encore pour les trépassés...

    Nous reprîmes note marche silencieuse ; la voix du guide avait quelque chose de grave qui nous avait saisis. Le chant plaintif et sonore montait toujours ; un détour du chemin le fit s'évanouir et nous n'entendîmes plus que le mugissement des eaux.

    -Que penser de notre aventure, me dit l'oncle Pierre lorsque nous fûmes seuls ?
    Et il avait, ce disant, plus qu'un léger sourire d'incrédulité.
    - Dormons, lui répondis-je, et croyons aux légendes.
    Le lendemain, à notre réveil, les cloches de l'église, après le chant de l'angélus, eurent un chant de funérailles.
    L'oncle Pierre me regarda avec surprise, et nous priâmes pour le défunt.


    Extrait de "Légendes d'Auvergne" de Ludovic Soubrier - 1891
     

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